Une Palme d’or d’honneur a été remise à Agnès Varda lors de la Cérémonie de Clôture du 68e Festival de Cannes. A ce jour, seuls Woody Allen, en 2002, Clint Eastwood, en 2009, et Bernardo Bertolucci, en 2011, se sont vu remettre cette distinction suprême, au nom du Conseil d’Administration du Festival de Cannes. Elle est attribuée à un réalisateur de renom, dont l’œuvre fait autorité dans le monde mais qui n’a pourtant jamais reçu de Palme d’or.
Le discours d’Agnès Varda :
Bonsoir ! Un bon en arrière : Mai 1955, je suis dans le train en troisième classe et j’arrive à Cannes. Dans mes bagages accompagnés, il y a un sac en grosse toile avec un fond en bois. Il contient 7 bobines de mon premier film La Pointe courte. Il pèse 30 kilos ! J’arrive à le trimballer à la consigne et pars à pied rejoindre André Bazin, qui m’avait suggéré de montrer le film à quelques professionnels et de louer le cinéma Vox rue d’Antibes. Il m’indique des noms et je pars porter, déposer mes enveloppes, d’hôtel en hôtel. Ma maman m’envoie un mandat de 100 Francs pour payer la projection. Il y a eu 35 à 40 personnes… Et ce soir vous êtes plus de 2.000 dans cette salle et je ne sais pas qui sait combien de gens devant leurs écrans dans le monde entier… Vous pensez que c’est impressionnant quand même !? Ça l’est… Les films aujourd’hui, je le signale, en numérique, pèsent 400 grammes.
Cette Palme d’or est un plaisir surprenant, c’est inattendu parce que les précédents récipiendaires, Clint Eastwood, Woody Allen et Bernardo Bertolucci, avaient -entre autres talents- celui d’avoir fait gagné des millions et d’avoir atteint des millions de spectateurs. Ce n’est pas mon cas, je suis française, je suis femme et mes films n’ont ni gagné, ni fait gagner de l’argent. Alors, je suis quand même venue au Festival de Cannes avec Cléo de 5 à 7 en compétition. Corinne Marchand et moi, on ne connaissait personne, on était épatées. Et puis en 1964 Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy. Je le revois avec Catherine Deneuve et Michel Legrand descendant les escaliers de l’ancien Palais et puis quelques jours plus tard on le rappelle : Palme d’Or ! Comme il était heureux ! Vraiment heureux.
En 91, projection ici dans cette grande salle de Jacquot de Nantes. Sans Jacques. On pleurait tous, sauf les enfants du film, qui étaient très contents.
Je veux remercier tous ceux, qui depuis le début, m’ont soutenue et ont travaillé avec moi. Merci à la petite équipe de Ciné-Tamaris qui m’a permis de faire ce cinéma libre qu’on me reconnaît… et même dans ma troisième vie d’artiste plasticienne.
Cette Palme que m’offrent Thierry Frémaux et Pierre Lescure, deux cinéphiles de choc, je ne la prends à personne puisqu’il n’y pas de compétition, mais je la reçois comme une Palme de résistance et d’endurance ; je les en remercie.
Je la dédie à tous les cinéastes inventifs et courageux, ceux qui créent un cinéma original, de fiction ou de documentaire, et qui ne sont pas en lumière, et qui continuent …
Quant à moi, pour résister au découragement, à la flemme et à l’imbécillité, je suis aidée par des artistes et leurs œuvres. Quand je visualise une peinture de Picasso, je suis de bonne humeur. Si je pense cinq minutes à un film de Buñuel, je suis remontée.
Et puis je suis protégée par mes 5 petits enfants et mes 2 enfants. Mathieu qui est à Los Angeles, c’est le matin pour lui il pense à nous, et Rosalie qui est dans la salle.
Je voudrais finir en osant être sentimentale : cette Palme dorée va être placée dans un placard chez nous, à côté de la Palme de Jacques… Mais dans la vie virtuelle que je continue à partager avec lui, aujourd’hui il y a deux palmes, deux vraies palmes, qui ondulent doucement dans la brise de la Croisette ou de La Baie des Anges.